Orly – Étape 1

Rencontre à l’EPT Grand-Orly Seine Bièvre

Vendredi 20 septembre 2019 / 14h – 16h

Première étape du Grand Tour : le quartier d’affaires Cœur d’Orly. Richard Limier nous accueille au nouveau siège de l’EPT Grand-Orly Seine Bièvre, situé au milieu d’une zone en pleine mutation, pour nous présenter la démarche expérimentale du Boulevard des Arts.

Avant de démarrer notre Grand Tour du Boulevard des Arts nous rendons visite à Richard Limier, chef de mission transports durables au sein de l’Établissement public territorial (EPT) Grand-Orly Seine Bièvre. Depuis peu l’EPT s’est installé dans l’unique bâtiment d’un projet en devenir : l’aménagement du quartier d’affaires Cœur d’Orly, à proximité du Terminal Sud. Ce projet marque la volonté d’Aéroports de Paris de requalifier les abords de l’aéroport. Avec l’arrivée du Grand Paris Express et des nouvelles lignes de tramway, l’aéroport, jusque-là isolé de son environnement, se voit rattrapé par la ville et l’arrivée future de nouveaux usagers. Mais aujourd’hui le bâtiment Askia qui accueille les bureaux de l’EPT se dresse seul au milieu d’une zone en mutation. À travers les larges baies vitrées de la salle où Richard Limier nous accueille on aperçoit des friches et des parkings, quelques rangées d’arbres et sur la gauche la chaufferie de l’aéroport. Passé les présentations d’usage, c’est ce paysage, avec ce qu’il révèle d’un territoire où les fonctions urbaines restent à inventer, qui devient le sujet de la conversation. Une conversation à laquelle Marc Armengaud, architecte et philosophe, viendra apporter une conclusion provisoire.

STEFAN SHANKLAND : Pour faire leur Grand Tour autrefois les artistes faisaient appel à un mécène. Après s’être formés au cours de leur voyage, ils revenaient voir leur mécène pour lui faire part de ce qu’ils avaient vu. À l’issue de ces trois années d’études sur le Boulevard des Arts, nous avons donc décidé de rendre visite à l’Etablissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre, à travers Richard Limier, chef de mission responsable de la mission Boulevard des Arts.

RICHARD LIMIER : Juste une question avant de commencer : Qui sait ce qu’est un EPT ?… L’Établissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre est un groupement de vingt-quatre communes qui a différentes compétences, notamment le développement économique, la politique de la ville, la gestion des déchets ménagers et assimilés, ou encore l’eau et l’assainissement l’aménagement du territoire, l’environnement. Nous sommes les pilotes de la démarche du Boulevard des Arts. Pilotes plutôt que mécènes, puisque que si l’EPT finance la réflexion, nous n’en sommes pas encore à financer des réalisations.  C’est un projet très intéressant, mais assez atypique dans le contexte de l’aménagement urbain et des transports en commun. Le projet du Boulevard des Arts s’inscrit dans une charte d’aménagement liée au tramway T9. Quand nous sommes allés voir des financeurs du tramway pour leur présenter le Boulevard des Arts, ils nous ont répondu qu’il ne leur était pas possible de le financer, dans la mesure où il ne s’agissait pas d’un projet technique, mais d’un projet culturel. Nous nous sommes rendu compte que la démarche que nous portions n’existait presque pas ailleurs du fait de son côté immatériel, non basé sur un équipement ou un bâtiment. L’idée était de donner à la phase de chantier du tramway un sens positif, parce qu’habituellement elle est perçue comme source de nuisances : bruit, pollution, problèmes de circulation, etc. Pour cela nous nous sommes demandé ce qui caractérisait cette ligne de tramway, et, en prenant du recul sur le territoire, nous nous sommes aperçu qu’il y avait là différents établissements artistiques et culturels, alternatifs ou pas. Nous avons également pensé qu’il serait intéressant d’avoir un regard extérieur : votre regard sur le territoire. Parce que notre regard à nous est souvent technique, détaché. Il ne s’appuie pas toujours sur un vécu, puisque nous n’habitons pas tous sur le lieu du projet. Nous avons donc décidé de solliciter un autre regard pour savoir ce que pourrait être le Boulevard des Arts, ce qui pourrait le caractériser en termes de densité, de paysages, de patrimoine ou d’autres choses qui nous paraissent parfois anecdotiques, mais peuvent avoir une importance particulière pour vous… Nous sommes donc en attente d’un retour qui nous confirmerait que le Boulevard des Arts existe d’une manière ou d’une autre. Cela nous conforterait dans notre démarche, qui vise à associer projet technique et projet culturel, nous permettrait de la rendre plus visible auprès de nos partenaires, voire d’en diffuser le concept.

L’idée était de donner à la phase de chantier du tramway un sens positif.

STEFAN SHANKLAND : Avant les bureaux du Grand-Orly Seine Bièvre étaient au cœur de la ville de Choisy. Aujourd’hui vous occupez un immeuble situé à côté de l’aéroport. Quand tu regardes ce paysage, est-ce que tu arrives à lui reconnaître des qualités, à le nommer ? Peux-tu nous décrire ce que l’on voit ?

RICHARD LIMIER : Nous nous inscrivons dans un projet qui s’appelle Cœur d’Orly, projet porté par Aéroports de Paris qui vise à densifier les abords de l’aéroport. L’EPT occupe une partie du premier bâtiment à avoir émergé de cette opération. À terme il y aura d’autres bâtiments à côté. Pour ce qui est des repères sur le site, c’est assez simple : personne ne connaît les noms des rues alentour. Quand on sort du bâtiment, il n’y a pas de place pour les piétons. Donc le premier réflexe c’est de prendre sa voiture. Quand on prend sa voiture, c’est pour effectuer un trajet d’un point A à un point B, pas pour se promener après le déjeuner. Par conséquent nos repères dans cet espace  , ce sont le parking, le bâtiment des douanes, la RN7, des repères concrets, plutôt que le nom des rues. Ce qui caractérise cet espace c’est qu’il a été conçu à un moment où la solution de mobilité était le tout voiture. Cela change en effet de Choisy où nous étions près d’une zone piétonne, d’un marché, de petits commerces. Ici impossible d’aller acheter le pain. À moins d’aller à la supérette de l’aérogare 2 en prenant l’Orlyval. Nous sommes sur un territoire hors ville, sur lequel on peut avoir du mal à se repérer. Le dernier élément de ce paysage, c’est la RN7. C’est un axe routier structurant, avec ses avantages et ses inconvénients, qui fait partie de l’identité de la zone au même titre que les avions, les entrepôts ou les parkings.

STEFAN SHANKLAND : Le paysage que tu décris fait écho à une discussion que nous avons eue en venant sur la notion de non-lieu : on traverse des paysages qui ne sont pas forcément laids ou désagréables, mais qui sont génériques…

RICHARD LIMIER : Il faut savoir que l’aéroport s’est imposé au territoire urbain existant, en créant des ruptures, notamment nord-sud avec le goulet d’étranglement de la RN7. Cette coupure marquée par l’aéroport s’ajoute à d’autres comme le MIN, le cimetière de Thiais ou encore les grandes infrastructures autoroutières. A la difficulté d’arriver sur cet espace, j’ajoute celle de s’y déplacer. Jusqu’à présent peu de liens ont été tissés entre l’aéroport et ses environs. Autour de l’aéroport, on a densifié avec des équipements liés aux activités logistiques. Ces activités sont séparées les unes deux autres par des barrières ce qui empêche de passer d’un parking à l’autre. Chaque espace est isolé. De temps en temps, on découvre un petit passage, mais c’est très anecdotique. Pour entrer dans les bâtiments, il faut un badge. C’est un territoire extrêmement cloisonné, sans convivialité ni urbanité. En 2024 le Grand Paris Express aura un arrêt à l’aéroport il y a la volonté de donner à cet aéroport une dimension plus urbaine. Il faut que les gens puissent y accéder, de préférence autrement qu’en voiture. Cela demande de créer des porosités qui n’existent pas, des choses toutes bêtes comme un trottoir continu, un passage piéton, l’éclairage des espaces publics. Ce sont des choses comme celles-là qui rendront l’espace plus urbain et permettront de se débrouiller sans voiture. Cette évolution nécessite aussi l’accueil de fonction plus urbaine d’animations et de services là où le bruit empêche toute construction de logement. L’arrivée de nouveaux hôtels est une occasion à saisir pour inciter à l’installation de commerces et d’espaces de convivialité. L’évolution de la RN7 fait également partie des enjeux importants à long terme. L’idée serait d’en finir avec la desserte exclusivement automobile. Les réseaux routiers sont aujourd’hui saturés aux heures de pointe, il faut mettre en œuvre d’autres solutions, entre autre la marche et le vélo. Cela nécessite de changer nos manières de faire, ce sur quoi nous travaillons actuellement.

STEFAN SHANKLAND : Pour cette première journée du Grand Tour, l’idée était de partir d’un non-lieu, car c’est le problème que nous rencontrons sur le Boulevard des Arts. Longtemps l’approche a été de dire : c’est la RN305, c’est la RD5, c’est un couloir de circulation : circulez, il n’y a rien à voir. Le défi du concept « Boulevard des Arts » c’est de changer de regard, de la même manière qu’on peut se demander en quoi un lieu comme ici, qui a toutes les caractéristiques du non-lieu, c’est quand même un « quelque part ».

RICHARD LIMIER : Un des éléments forts de l’aéroport, ce sont les paysages. Il y a des percées visuelles, de la biodiversité… La difficulté c’est l’accès. Pouvoir en profiter, trouver un banc où s’asseoir, c’est compliqué. Si l’on recherche l’urbanité d’une rue, d’une sente ou d’une venelle, on ne la trouvera pas. Ce n’est pas qu’il n’y a rien d’intéressant, mais en l’absence des codes habituels de l’espace public, les richesses du territoire sont difficiles à identifier. Cela exige de chercher un peu plus. C’est également lié à l’usage que l’on a du site : quand on marche, on prend le temps, on pose un regard différent. Ici la plupart du temps on arrive en voiture le matin et on repart le soir. Au sein du foncier dédié à l’aéroport, on n’est pas a priori dans un contexte de promenade. Comme je le disais tout à l’heure, mes collègues qui sont partis à vélo ce matin sont revenus enchantés. Ils ont découvert des choses qu’ils ne soupçonnaient pas, des cheminements, des raccourcis. Mais lorsqu’on vit le territoire suivant une approche utilitaire, on n’a pas accès à cette dimension. Pour l’instant la fonction d’espace public, d’espace de loisir ou de détente, n’existe pas. Un aéroport est essentiellement un lieu de transit, c’est sa fonction. Il faudrait associer cette fonction utilitaire à des logiques urbaines en apportant d’autres fonctions pour mieux l’intégrer dans le territoire : accessibilité, desserte multimodale, parcours à pied et à vélo, etc. C’est un chantier phénoménal, mais si on prend le temps d’explorer le site, je suis sûr qu’on découvrira des pépites. Le fait est que l’espace tel qu’il se présente actuellement ne vous incite pas à vous l’approprier ou à le visiter. Il vous incite juste à le traverser.

STEFAN SHANKLAND : Marc veux-tu ajouter quelque chose sur l’identité de ce territoire avant que nous partions l’explorer ensemble ?

MARC ARMENGAUD : Je ne suis pas sûr que tous les gens qui sont là soient très choqués qu’un espace n’ait pas les codes de la ville. En réalité nous avons besoin de ce type d’espace, mais nous ne savons peut-être pas le reconnaître. Peut-être cet état transitoire d’Orly est-il plus attractif que la version précédente et je crois pouvoir annoncer qu’il est plus attractif que l’avenir qui lui sera réservé. Il faut savoir profiter de ce moment un peu disgracieux, mais encore flottant, où les logiques militaires d’hier sont en train de lâcher et où les logiques hyper commerciales de demain ne sont pas encore en place.

Richard Limier, chef de mission transports durables, direction générale adjointe prospective et projet de territoire, EPT Grand-Orly Seine Bièvre

Stefan Shankland, directeur artistique de l’AMO artistique et culturelle Boulevard des Arts

Marc Armengaud, architecte, agence AWP

Les étudiantes du DSAA Alternatives Urbaines ont rédigé leur carnet de bord du Grand Tour. Un atelier d’écriture animé par Métie Navajo, autrice en résidence au Théâtre Jean-Vilar de Vitry.

 

« L’herbe n’a pas encore poussé » (Lise)

Lycée Chérioux direction Porte de Choisy : Isadora, Nawel, Nina, Lucie, Juliette, Chloé, Camille, Florine, Morane. Sont restés finir le TAPATOR – notre drôle d’oiseau : Léa, Asia, Jérémie. Nous sommes donc un peu en retard.

14h30, kiosque à journaux, Porte de Choisy.
Plantés au soleil, on attend l’équipe du Boulevard des Arts. Au beau milieu du passage, on attend debout, on sera longtemps debout je pense. Des gens passent puis n’osent plus, on est trop nombreux et on semble être là pour quelque chose. Effet de groupe.
Kiosque à droite sur fond McDo, Stefan ou l’homme à la casquette 1977 et directeur artistique du projet, commence son discours. L’équipe tout sourire distribue des questions. On pioche dans une enveloppe, qu’est ce que c’est le patrimoine ? qu’est ce que vous voulez voir pendant le Grand Tour ? On a tous les mêmes, bon. Dans les réponses on se livre peu, on y répondra davantage plus tard, on espère construire quelque chose par la suite.

 

« Mais Paris, c’est de quel côté ? » (Nawel)

Porte de Choisy. C’est le départ. Porte de Choisy j’y vais mais là j’y suis. Et d’un coup je sais plus vraiment où je suis. D’habitude tu vas à Porte de Choisy, tu descends à Porte de Choisy, tu rejoins quelqu’un à Porte de Choisy. Mais aujourd’hui tu y vas pour y être. Tu attends debout, sous un soleil de plomb, au milieu des passants, tu crées un bouchon. Tu te regardes par le biais de ces gens. C’est cette sensation là que tu viens chercher, elle te fait oublier le bruit de la ville, l’empressement de la foule…

 

« Où avez vous mis les arbres ? » (Camille)

Vendredi matin, vaste espace vitré, rectiligne.

Tu es assise par terre, avec les autres. Tu écoutes.

Ils parlent.

Schémas, graphiques, 1,7 naissances par habitant, sur des panneaux blancs et violets à l’entrée.

Une employée fait glisser un chariot à roulettes, des boissons dessus.

Le bruit de ses chaussures à talons, étouffé par la moquette même pas douce.

Besoin de lumière

Remettre en place

Merci.

Scotché sur le pot de la seule plante verte. Gravillons en plastiques.

Tout est propre ici.

 

« 2 km étendus sur 11 km, comme un chewing-gum » (Léa)

Vendredi 16h

Nous rejoignons les filles. Elles suivaient le groupe du Grand Tour tandis que nous finissions le TAPATOR.

Le tram fait défiler les paysages.

Les noms d’arrêts s’enchaînent.

Nous imaginions le groupe faire ce trajet à pied.

Nous nous interrogeons.

Zone industrielle. Marché international.

Vide. Routes.

Pont. Silence.

Projection sur l’aéroport.

Autoroute, bretelles, périphérique, voitures, avions, bouchons.

Échelle surdimensionnée.

Où est notre place ?

Nous retrouvons le groupe. Changement d’ambiance tous écoutent le guide.

Un groupe de femmes courent en file indienne avec des valises presque aussi hautes qu’elles.